[Abandonnée] L'étrangère

Toutes les semaines, et ce depuis un bon mois, elle était là. Chaque matin, sur un banc miteux, elle regardait le monde défiler devant elle. Aucun sentiment ne se dégageait de son visage, semblant pourtant si expressif. Sa présence ici serait inexplicable si la-dîtes fille ne portait pas un gros bonnet lui recouvrant une partie de son visage, tombant jusqu'au bas de son dos. Ferait-elle partie de cette secte d'illuminée venu d'ailleurs, prétendant être les disciples d'un Roi-Dieu sorti littéralement du trou du cul du monde ? Probablement. Elle portait le même corset aux motifs étranges que ces étrangers, jaune cendré et aux bords indigo. Elle portait aussi une jupe aux mêmes coloris, malgré le temps frisquet, ce qui ne semblait pas du tout la déranger. Ses bas, qui prennent naissance au milieu de ses cuisses, reprennent les mêmes couleurs que son bonnet, c'est à dire un joli gris, mêlé d'indigo. Ses chaussures semblaient être un curieux mélange entre les gétas de Pandala, et la botte d'un Sadida. Mais le plus étrange, c'est que cette fille ne partageait pas la même peau que ses congénères. Il est d'usage que les disciples du Roi-Dieu aient une peau ethérée, comme translucide. Mais pas elle, elle était de chair et dos, beige comme la Iopette qui traînait souvent dans le coin. De plus, ses yeux étaient des plus étonnants. Son œil droit était d'un cyan pétant, alors que l'autre brillait d'un rouge sanguin, ceux-ci s'harmonisant avec ses longs cheveux noirs. Mais le plus atypique, c'est que cette fille ne trainait jamais seule. Elle était toujours accompagnée d'un chacha au pelage blanc, présentant les mêmes symptômes qu'elle. Deux gros yeux bleu et rouge, d'un tempérament infiniment calme pour un chacha, et observateur.
Elle étudiait les gestes les plus anodins du quotidien avec la plus précise des attentions. Nuit et jour, elle restait plantée là, avec son compagnon. Qu'importe qu'il vente ou qu'il neige, qu'il pleuve des cordes ou que le froid hivernal lui gèle la peau, ils restaient ou ils étaient, sans même exprimer le moindre mot, ou esquisser le plus simple des sourires. Pourtant, le monde est beau ! Tout aspire à la joie de vivre, à la chance de pouvoir vivre un jour de plus dans cet environnement féerique, mais tout semblait différente pour elle.

Jusqu'au jour ou elle se décida de se lever de son banc. Au petit matin, elle décida de prendre ses maigres bagages tenant dans un simple sac à dos, et de foutre le camp. Son chacha pris un élan pour atterrir sur son épaule et s'y caler comme une sentinelle. Dressée sur son mètre 70, elle se dirigea vers la taverne la moins accueillante du village. Pourquoi donc se diriger vers la bâtisse à moitié délabrée, à l'enseigne très "attirante" de l'Arakné. Elle vérifia tout de même l'état de sa ceinture, avant de rentrer, regardant si sa flute sculptée dans le plus étrange des bois blanc était encore accrochée. En aucun cas elle sembla inquiétée par le fait qu'elle soit totalement désarmée, n'ayant ni épée, ni sabre, ni même une simple dague. Elle rentra alors comme si de rien était dans l'établissement, son pas faisant craqueler le parquet ébréché de la taverne.  Elle esquissa son premier sourire en regardant la foule des moins attirantes, n'étant pas du tout méfiante, car de toute façon, elle reconnut la plupart des têtes. D'un pas calme elle se dirigea vers une table vide, comprenant une dizaine de tabouret, et fit mine de s'installer au coin de la table, ce même meuble étant recouverte de toiles d'Arakne, l'hygiène n'étant pas du tout le point fort de cette taverne.

Elle attendit avec une certaine impatience, sûre d'elle, à la table, comme si elle savait que quelqu'un allait se présenter. Comme si cette routine tant détestée allait enfin changer.